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Chapitre IV : Conversion et réconciliation - pureté du coeur

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Le bon pasteurLa parabole de la brebis perdue nous introduira dans ce que l'on appelle la miséricorde divine. Elle nous fera également découvrir quelles sont les vertus à pratiquer de façon plus particulière pour rester en état de grâce. Ensuite, de nouveaux épisodes de la vie de François nous permettront, non seulement de mieux le connaître, mais aussi de découvrir ce qu'il entend par la béatitude : bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu. Enfin, la lecture et les commentaires des articles 7 et 12 de notre règle nous feront définir et approfondir ce que le Christ appelle notre bien le plus précieux : notre âme.

Voici que j'aurai soin moi-même de mon troupeau

Le bon pasteur
L'image du « roi-berger » se rencontre fréquemment dans la Bible * Par exemple dans Ezéchiel 34 de chez qui est tiré le titre de cette première partie de chapitre (34 11). Dans Jérémie, aux chapitres 2, 3 10, 23, dans Zacharie 11, Psaumes 23 et 80, .... Rappelons-nous que les images qu'utilise le Seigneur, pour se révéler auprès des hommes, sont très souvent des images de la vie quotidienne des personnes auxquelles il s'adresse. Nous comprenons aisément que le procédé permet une meilleure compréhension des auditeurs. Le peuple hébreu étant un peuple de nomades où les troupeaux intègrent la vie de chacun, nous trouvons souvent des comparaisons entre la vie du peuple de Dieu et la vie d'un troupeau de brebis conduit par un pasteur. Jésus utilisera également cette image, notamment dans la parabole de la brebis perdue que nous rapportent Saint Matthieu (Mt 18 12-14) et Saint Luc (Lc 15 3-7). Dans leurs évangiles, le titre du passage diffère, alors qu'il s'agit bien de la même parabole. Chez le premier des évangélistes, la parabole s'intitule « La brebis égarée » et « La brebis perdue » chez le second * Les deux termes sont utilisés dans le même passage d'Ezéchiel dans sa prophétie contre les pasteurs d'Israël : « Vous n'avez pas ramené celle qui s'égarait, cherché celle qui était perdue » Ez 34 4.. Cette différence souligne la miséricorde de Dieu dans tous les cas qui peuvent se présenter. Sa miséricorde est sans limites. La brebis égarée est celle qui a quitté le bon chemin mais qui peut finalement le retrouver en faisant un petit effort. Il lui suffit pour le moins d'une bonne carte et d'une boussole pour le retrouver. La brebis perdue quant à elle, est véritablement perdue, autant pour elle-même que pour les autres. Nous dirions qu'elle est irrécupérable. Eh bien pour les deux sortes de brebis, qu'elles soient égarées ou perdues, la mission du Christ rédempteur, Sauveur de l'humanité, s'accomplit sans mesure. Mais assez parlé, goûtons plutôt cette magnifique parabole * D'après Centro Editoriale Valtortiano, Isola del Liri, Italie, L'Evangile tel qu'il m'a été révélé, Maria Valtorta, Tome 4, chap. 94, p. 43 à 46 (extraits)..

Parabole de la brebis perdue

Jésus parle à la foule. Monté sur le bord d'un torrent planté d'arbres, il parle à une foule nombreuse répandue dans un champ dont le blé est coupé et qui présente l'aspect désolant des chaumes brûlés par le soleil. C'est le soir. Le crépuscule descend, mais déjà la lune monte. Une belle et claire soirée d'un début d'été. Des troupeaux rentrent au bercail et le tintement des sonnailles se mêle au chant des grillons ou des cigales.
Jésus prend la comparaison des troupeaux qui passent. Il dit : « Votre Père est comme un berger attentif. Que fait le bon pasteur ? Il cherche de bons pâturages pour ses brebis, où il n'y a pas de ciguë ni de plantes dangereuses, mais des trèfles agréables, des herbes aromatiques et des chicorées amères mais bonnes pour la santé. Il cherche une place où se trouvent en même temps que la nourriture, de la fraîcheur, un ruisseau aux eaux limpides, des arbres qui donnent de l'ombre, un endroit où il n'y a pas d'aspics au milieu de la verdure. Il ne se soucie pas de trouver des pâturages plus gras parce qu'il sait qu'ils cachent facilement des serpents aux aguets et des herbes nuisibles, mais il donne la préférence aux pâturages de montagne où la rosée rend l'herbe pure et fraîche, mais que le soleil débarrasse des reptiles, là où l'on trouve un bon air que remue le vent et qui n'est pas lourd et malsain comme celui de la plaine. Le bon pasteur observe une par une ses brebis. Il les soigne si elles sont malades, les panse si elles sont blessées. Pour celle qui se rendrait malade par gloutonnerie, il élève la voix. A celle qui prendrait du mal à rester dans un endroit trop humide ou trop ensoleillé, il dit d'aller dans un autre endroit. Si elle est dégoûtée, il lui cherche des herbes acidulées et aromatiques capables de réveiller son appétit et les lui présente de sa main en lui parlant comme à une personne amie.
C'est ainsi que se comporte le bon Père qui est aux Cieux avec ses fils qui errent sur la terre. Son amour est la verge qui les rassemble. Sa voix leur sert de guide. Les pâturages, c'est sa Loi. Son bercail le Ciel.
Mais voilà qu'une brebis le quitte. Combien il l'aimait ! Elle était jeune, pure, candide, comme une nuée légère dans un ciel d'avril. Le berger la regardait avec tant d'amour en pensant à tout le bien qu'il pouvait lui faire et à tout l'amour qu'il pourrait en recevoir. Et elle l'abandonne.
Un tentateur est passé le long du chemin qui borde le pâturage. Il ne porte pas une casaque austère, mais un habit aux mille couleurs. Il ne porte pas la ceinture de peau avec la hache et le couteau suspendus, mais une ceinture d'or d'où pendent des sonnettes au son argentin, mélodieux comme la voix du rossignol, et des ampoules d'essences enivrantes... Il n'a pas le bourdon avec lequel le bon pasteur rassemble et défend les brebis et qui, si le bourdon ne suffit pas, est prêt à les défendre avec sa hache ou son couteau, même au péril de sa vie. Mais ce tentateur qui passe a dans les mains un encensoir tout brillant de pierres précieuses d'où s'élève une fumée qui est à la fois puanteur et parfum, qui étourdit comme éblouissent les facettes des bijoux, oh ! combien faux ! Il va en chantant et laisse tomber des poignées d'un sel qui brille sur le chemin obscur...
Quatre-vingt-dix-neuf brebis le regardent sans bouger.
La centième, la plus jeune et la plus chère, fait un bond et disparaît derrière le tentateur. Le berger l'appelle, mais elle ne revient pas. Elle va, plus rapide que le vent, rejoindre celui qui est passé et, pour soutenir ses forces dans sa course, elle goûte ce sel qui pénètre au dedans et la brûle d'un délire étrange qui la pousse à chercher les eaux noires et vertes dans l'obscurité des forêts. Et, dans les forêts, à la suite du tentateur, elle s'enfonce, elle pénètre, monte et descend et elle tombe... une, deux, trois fois. Et une, deux, trois fois, elle sent autour de son cou l'embrassement visqueux des reptiles, et assoiffée, elle boit des eaux souillées ; affamée, elle mord des herbes qui brillent d'une bave dégoûtante.
Que fait pendant ce temps le bon pasteur ? Il enferme en lieu sûr les quatre-vingt-dix-neuf brebis fidèles et puis se met en route et ne s'arrête pas jusqu'à ce qu'il trouve des traces de la brebis perdue. Puisqu'elle ne revient pas à lui, il va vers elle. Il la voit de loin, enivrée et enlacée par les reptiles, tellement ivre qu'elle ne sent pas la nostalgie du visage qui l'aime, et elle se moque de lui. Et il la revoit, coupable d'être entrée comme une voleuse dans la demeure d'autrui, tellement coupable qu'elle n'ose plus regarder... Et pourtant le pasteur ne se lasse pas... et il va. Il la cherche, la cherche, la suit, la harcèle. Il pleure sur les traces de l'égarée : lambeaux de toison ; lambeaux d'âme ; traces de sang ; délits de toutes sortes ; ordures ; témoignages de sa luxure. Il va et la rejoint.
Ah ! Je t'ai trouvée, mon aimée ! Je t'ai rejointe ! Que de chemin j'ai fait pour toi pour te ramener au bercail ! Ne courbe pas ton front souillé. Ton péché est enseveli dans mon coeur. Personne, excepté moi qui t'aime, ne le connaîtra. Je te défendrai contre les critiques d'autrui, je te couvrirai de ma personne pour te servir de bouclier contre les pierres des accusateurs.
Le bon pasteur
Viens. Tu es blessée ? Oh ! Montre-moi tes blessures. Je les connais, mais je veux que tu me les montres, avec la confiance que tu avais quand tu étais pure et quand tu me regardais moi, ton pasteur et ton dieu, d'un oeil innocent. Les voilà. Elles ont toutes un nom. Oh ! Comme elles sont profondes ! Qui te les a faites si profondes ces blessures au fond du coeur ? Le Tentateur, je le sais. C'est lui qui n'a ni bourdon ni hache mais qui blesse plus profondément avec sa morsure empoisonnée et après lui, ce sont les faux bijoux de son encensoir, qui t'ont séduite par leur éclat... et qui étaient un soufre infernal qui se produisait à la lumière pour te brûler le coeur. Regarde ! Combien de blessures, combien de toison déchirée, combien de sang, combien de ronces !
Oh ! Pauvre petite âme illusionnée ! Mais dis-moi : si je te pardonne, m'aimeras-tu encore ? Mais dis-moi : si je te tends les bras, t'y jetteras-tu ? Mais dis-moi : as-tu soif d'un amour bon ? Et alors : viens et reviens à la vie. Reviens dans les pâturages saints. Tu pleures. Tes larmes mêlées aux miennes lavent les traces de ton péché, et Moi, pour te nourrir, puisque tu es épuisée par le mal qui t'a brûlée, je m'ouvre la poitrine, je m'ouvre les veines et je te dis : « Nourris-toi, mais vis ! » Viens que je te prenne dans mes bras. Nous irons plus rapidement aux pâturages saints et sûrs. Tu oublieras tout de cette heure de désespoir et tes quatre-vingt-dix-neuf soeurs, les bonnes, jubileront pour ton retour. Je te le dis, ma brebis perdue, que j'ai cherchée en venant de si loin, et que j'ai retrouvée, et que j'ai sauvée que l'on fait une plus grande fête parmi les bons pour une brebis perdue qui revient que pour les quatre-vingt-dix-neuf justes qui ne se sont pas éloignées du bercail. »
Père ou mère, prêtre, éducateur ou simplement ami, chacun d'entre nous n'est-il pas appelé, chacun dans la mission qui lui est propre, chacun avec les talents qu'il a reçus, à être « bon pasteur » ? Ou bien, n'occupons-nous pas bien souvent la place de la brebis perdue ou égarée ? Analysons donc le comportement de chaque personnage de la parabole afin que nous sachions suivre pour nous-mêmes Celui qui est le Chemin, la Vérité et la Vie ou bien, en fonction des circonstances de la vie, aider notre prochain à rechercher et à suivre ce Chemin, cette Vérité et cette Vie.

Le bon pasteur

Tout d'abord, le pasteur est « bon ». La bonté est une qualité supérieure à la sagesse car elle réclame l'amour. D'ailleurs, parmi les vertus dont fait preuve le bon pasteur, la première que nous trouvons est celle-ci : l'amour. Les quatre autres vertus, que l'Eglise qualifie de vertus cardinales * Les vertus cardinales que sont la prudence, la justice, la force et la tempérance, sont comme les quatre points cardinaux qui permettent au marin de bien s'orienter sur la mer lorsqu'il les connaît et en fait bon usage. Saint Augustin nous précisait à ce sujet : « Bien vivre n'est autre chose qu'aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme et de tout son agir. On Lui conserve un amour entier (par la tempérance) que nul malheur ne peut ébranler (ce qui relève de la force), qui n'obéit qu'à Lui seul (et ceci est la justice), qui veille pour discerner toutes choses de peur de se laisser surprendre par la ruse et le mensonge (et ceci est la prudence) ». Saint Augustin, mor. eccl. 1, 25, 46., trouvent finalement leur source et leur terme dans cette vertu théologale de la charité.
-S L'amour S-: le bon pasteur aime ses brebis. Il ne se contente pas de les connaître « à peu près », « en gros » ou « à la louche ». Non ! Il les connaît une par une et lorsque l'une d'elle Le bon pasteurest malade, il la soigne. Si l'une d'elle s'égare, il va vers elle. Le bon pasteur ne se dit pas : « Bah ! Une de perdue, dix de retrouvées ». Non ! Chacune a du prix à ses yeux si bien que si l'une d'elle se perd, il part sans attendre à sa recherche. Il suit ses traces. Il sait bien que sa brebis est malheureuse et qu'elle souffre. Il en souffre lui-même, par amour pour elle. Il pleure de la savoir malheureuse. Mais quand il la retrouve, alors quelle joie ! Quelle joie malgré tout ce que la brebis lui a fait subir : l'imprudence dont elle a fait preuve en suivant le tentateur ; l'injustice qu'elle lui a témoignée en le quittant, lui qui est bon et qui lui donnait tout ce dont elle avait besoin ; la faiblesse dans sa course à la suite du tentateur, elle qui, pour chercher à se donner des forces, goûtait au sel amer du péché ; son intempérance pour l'attrait des ténèbres. Pour lui redonner la santé, la même santé que les quatre-vingt-dix-neuf autres brebis, il lui pardonne toutes ses fautes et se donne à elle comme nourriture. Ah ! De quel amour fait-il preuve ce bon pasteur !
La tempérance * La tempérance est la vertu morale qui modère l'attrait des plaisirs et procure l'équilibre dans l'usage des biens créés. Elle assure la maîtrise de la volonté sur les instincts et maintient les désirs dans les limites de l'honnêteté. La personne tempérante oriente vers le bien ses appétits sensibles, garde une saine discrétion et ne se laisse pas entraîner pour suivre les passions de son coeur. CEC 1809. : notre bon pasteur, dans le rôle qui est le sien, montre pour ses brebis de l'équilibre dans l'usage des biens créés. Pour elles, il cherche de bons pâturages où il n'y a pas de ciguë ni de plantes dangereuses mais des trèfles agréables et des herbes bonnes pour la santé. Il cherche une place où se trouvent en même temps que la nourriture, de la fraîcheur, un ruisseau aux eaux limpides et des arbres qui donnent de l'ombre. Il ne se soucie pas de trouver des pâturages plus gras, qui peuvent apparaître meilleurs au premier abord, car il sait qu'ils cachent facilement des serpents aux aguets et des herbes nuisibles. Le bon pasteur agit donc avant tout par prévention et parfois aussi, pour le bien de la brebis, par usage de son autorité que lui confère sa charge. Ainsi en est-il si une brebis tombe malade en devenant gloutonne. Dans ce cas, il n'hésite pas à élever la voix pour rappeler la brebis à la modération.
La force * La force est la vertu morale qui assure dans les difficultés la fermeté et la constance dans la poursuite du bien. Elle affermit la résolution de résister aux tentations et de surmonter les obstacles dans la vie morale. La vertu de force rend capable de vaincre la peur, même la mort, d'affronter l'épreuve et les persécutions. Elle dispose à aller jusqu'au renoncement et au sacrifice de sa vie pour défendre une juste cause. CEC 1808. : le bon pasteur montre avec quelle constance il poursuit le bien. Ainsi, lorsqu'il se met en route pour retrouver la brebis perdue, il ne s'arrête pas jusqu'à ce qu'il trouve des traces de sa brebis. Puisqu'elle ne revient pas à lui, il va vers elle. Lorsqu'il la voit ainsi enlacée par les reptiles et qu'elle-même se moque de lui, il ne se lasse pas. Il la cherche, la cherche, la suit, la harcèle. Craint-il, à l'instar des pharisiens qui fuient les pécheurs de peur d'être souillés par leur péché, de se salir en allant rechercher sa brebis au milieu de l'embrassement visqueux des reptiles ? Non ! Au contraire. Il n'hésite pas à risquer sa vie pour sauver celle de sa brebis. « Ce n'est pas pour les biens portants mais pour les malades que je suis venu » (Mt 9 12) rétorquera Jésus à ses détracteurs.
La justice * La justice est la vertu morale qui consiste dans la constante et ferme volonté de donner à Dieu et au prochain ce qui leur est dû. La justice envers Dieu est appelée « vertu de religion ». Envers les hommes, elle dispose à respecter les droits de chacun et à établir dans les relations humaines l'harmonie qui promeut l'équité à l'égard des personnes et du bien commun. CEC 1807. : le bon pasteur développe un sens élevé de la justice. En effet, une mission lui est confiée : celle de garder les brebis. Il est juste qu'il l'accomplisse avec la plus grande diligence. C'est d'ailleurs ce qu'il fait en cherchant une place ou se trouvent en même temps que la nourriture tous les autres éléments dont les brebis ont besoin : fraîcheur, eaux limpides, ombre, ... Lorsque le bon pasteur part à la recherche de la brebis perdue, il se soucie, avant de partir, d'assurer la sécurité aux quatre-vingt-dix-neuf brebis fidèles. Enfin, lorsqu'il retrouve la brebis perdue, la méprise-t-il, l'humilie-t-il aux yeux de tous pour se venger de son infidélité ? Non ! Il la serre contre son coeur et lui parle avec douceur. Il lui assure une défense contre les critiques d'autrui, contre les pierres des accusateurs. En effet, le péché de la brebis perdue ne lui fait pas perdre de vue sa mission de garder ses brebis contre tout mal, qu'il vienne d'un tentateur ou qu'il vienne d'accusateurs.
La prudence * La prudence est la vertu qui dispose la raison pratique à discerner en toute circonstance notre véritable bien et à choisir les justes moyens de l'accomplir... Elle ne se confond ni avec la timidité ou la peur, ni avec la duplicité ou la dissimulation. Elle est dite auriga virtutum : elle conduit les autres vertus en leur indiquant règle et mesure. C'est la prudence qui guide immédiatement le jugement de conscience. CEC 1806. : le bon pasteur témoigne de beaucoup de prudence. Il ne met pas ses brebis à paître dans le premier pré venu. Non, bien au contraire. Il commence par chercher de bons pâturages pour ses brebis, des pâturages qui leur permettront de s'épanouir en toute quiétude. Lorsqu'il part à la recherche de la brebis perdue, laisse-t-il les autres complètement livrées à elles-mêmes avec tous les loups qui rôdent aux alentours ? Non. Il enferme en lieu sûr les quatre-vingt-dix-neuf brebis fidèles, c'est-à-dire qu'il leur donne les moyens de rester dans l'amour de leur pasteur. La préface qualifiée « des Apôtres » résume bien cette prudence amoureuse : « ... Tu n'abandonnes pas ton troupeau, Pasteur éternel, mais tu le gardes par les Apôtres sous ta constante protection ; tu le diriges encore par ces mêmes pasteurs qui le conduisent aujourd'hui au nom de ton Fils... »

Le tentateur

Nous avions montré, dans le chapitre II, quelles sont les formes de tentation qu'utilise Satan pour essayer de ravir notre âme à Dieu. Nous nous rappelons qu'il y a trois formes de tentation : le côté matériel de la nature par l'attrait charnel et la gourmandise, puis le côté moral et enfin le côté spirituel. C'est cette dernière tentation qui intéresse le plus Satan, les deux premières formes étant surtout des moyens pour parvenir à emprisonner l'homme par la troisième. Nous trouvons, dans la parabole de la brebis perdue, tous les arguments développés par Bélial, c'est-à-dire toutes les astuces et mensonges multiples, pour arriver à ses fins. A l'habit austère du berger, le tentateur commence par opposer un habit aux mille couleurs. Aux accessoires utilisés par le berger dans l'exercice de sa mission, à savoir une ceinture de peau avec une hache et un couteau suspendus, il oppose une ceinture d'or d'où pendent des sonnettes au son argentin, mélodieux comme la voix du rossignol, et des ampoules d'essences enivrantes. Au bourdon avec lequel le bon pasteur rassemble et défend ses brebis, il oppose un encensoir tout brillant de pierres précieuses. Tout ceci paraît bénin, sans importance, mais si l'on s'y laisse prendre, voici la suite : il chante, le tentateur, et laisse tomber des poignées d'un sel qui brille sur le chemin obscur.
Le bon et le mauvais pasteur
Car le chemin, dès le début, est obscur. On y distingue cet étrange sel qui brille et qui montre une route à suivre, mais on ignore finalement où l'on met les pieds. Si, pour reprendre des forces, on vient à goûter au sel du tentateur, c'est-à-dire le sel du péché, nous obtenons un résultat inverse à celui recherché. Au lieu de reprendre des forces, la force nous quitte : nous devenons plus faibles, plus vulnérables, tout prêts à tomber dans la deuxième tentation. Car le chemin obscur, lui, s'oriente, petit à petit, vers l'obscurité des forêts. Là, plus de lumière. On est assailli par des reptiles sans que l'on puisse finalement s'en sortir tout seul. L'esprit n'est plus maître du corps mais c'est le corps qui est maître de l'esprit. Or, si le corps s'avère être un très bon serviteur de l'âme lorsque nous savons lui donner des choses bonnes pour lui, c'est un très mauvais maître pour l'esprit. Si notre esprit est annihilé par le corps, alors nous devenons affamés et assoiffés de tout ce qui nous fait défaut pour être heureux. Nous goûtons alors des herbes qui brillent d'une bave dégoûtante. Que se passe-t-il enfin ? Nous ne sentons plus l'amour de Dieu qui nous aime. Nous ne sentons plus l'amour des personnes qui nous aiment. Et même si Dieu ou nos anciens compagnons se manifestent à nous, nous nous moquons d'eux, nous croyant plus forts, plus libres qu'eux, plus heureux qu'eux. Qu'en est-il en réalité ? Nous sommes comme une souris qui pénètre dans une souricière remplie de fromage et qui se moque de ses anciennes amies restées à l'extérieur car elle peut se gaver de tout le fromage installé à l'intérieur par le poseur de piège. Mais une fois le fromage mangé, même mangé à satiété, quel est l'avenir de la souris ? Dans tous les cas de figures, elle est prisonnière, esclave du poseur de piège. Il peut la tuer ou l'oublier dans sa souricière. S'il l'oublie, c'est la mort lente provoquée par la faim. Elle est seule. Et sans un sursaut de sa part associé à une aide venant de l'extérieur, c'est une mort certaine.
Le mauvais pasteur

La brebis perdue

La pauvre brebis perdue ne montre aucune des vertus dont fait preuve son bon pasteur. Elle manque de prudence lorsqu'elle voit le tentateur. Elle ne se dit pas comme les autres brebis : « Laissons passer ce curieux bonhomme à l'allure si attirante ; ne nous en occupons pas ». Au contraire, notre pauvre brebis se laisse aller comme la petite souris qui voit le fromage installé devant la souricière. Elle prête foi à ce qui peut ressembler au bonheur, et de surcroît à un bonheur sans effort. Il suffit de se baisser pour manger. N'avait-elle pas ce qui lui était nécessaire dans les pâturages de son pasteur ? Elle avait ce qu'il fallait, mais la petite était gourmande. Il lui en fallait toujours plus. Ne pas savoir se contenter du nécessaire, c'est montrer de l'intempérance. Alors la petite brebis commence par consommer quelque chose d'apparemment anodin, mais qui ne rassasie pas, ne désaltère pas. A l'inverse, le fait de goûter à ce qui est proposé par le tentateur donne une fringale terrible, une soif inextinguible * Nous avons en France un vieux proverbe qui résume bien cette ascension du mal dans le coeur d'un être : « qui vole un oeuf, vole une boeuf », c'est-à-dire que celui qui, aujourd'hui vole un oeuf, demain volera un boeuf.. Au lieu de se dire : « Il faut que je retourne dans les verts pâturages de mon pasteur », ce qui n'aurait été que justice envers celui-ci, la petite brebis s'enfonce davantage dans l'obscurité. Elle manque de force dans la tentation. Elle sombre dans les eaux noires et vertes du péché. Elle devient prisonnière, esclave de son péché. Si bien que lorsque son pasteur l'appelle, elle se moque ouvertement de lui : « Va donc, toi, avec tes verts pâturages ! Va voir ailleurs si j'y suis ! »
Du côté de la brebis, la séparation est totale. Elle est séparée de Dieu, séparée des autres et elle est séparée dans son être. En effet, tout comme le possédé du lac de Génésareth qui se tailladait le corps avec des pierres, nous trouvons dans la petite brebis à la fois le bourreau et le supplicié. Quel être, en effet, à moins de souffrir de la maladie du sadomasochisme, est heureux de se faire du mal ? Notre petite brebis en est là : elle n'a plus besoin de personne pour se faire du mal. Elle se fait du mal toute seule. Le tentateur peut aller tenter quelqu'un d'autre. La souris, elle, est prise dans la souricière.
S'il n'y avait pas d'aide venant de l'extérieur à ce moment, s'il n'y avait pas le bon pasteur, c'en serait fini de la petite brebis. Elle serait vraiment perdue, définitivement perdue. Alors le bon pasteur la rejoint. Mais le bon pasteur ne peut la prendre de force, ne peut la retirer de son péché sans son adhésion. Il a besoin de l'adhésion de la brebis. Besoin d'amour, besoin de pardon, qui doivent s'exprimer de façon sensible. Le bon pasteur ne peut s'en passer pour aider la brebis. S'il la prenait de force, le résultat ne pourrait être qu'éphémère. Dès la première occasion, la brebis le quitterait de nouveau pour replonger dans sa fange. Ah ! Si la brebis connaît ce sursaut que parfois certaines âmes ne connaissent seulement que sur leur lit de mort, alors la grâce de Dieu abonde, et même surabonde. Rappelons-nous les deux larrons mis en croix avec Jésus. Le mauvais larron reste dans son péché et se moque de Jésus. L'autre, aussi criminel que le premier, confesse sa faute, demande pardon et cherche même à convertir son compagnon d'infortune : « Tu n'as même pas crainte de Dieu, toi qui subis la même peine ! Pour nous, c'est justice, nous payons nos actes ; mais lui n'a rien fait de mal ». Et il disait à Jésus : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume ». Et Jésus lui répond : « En vérité, je te le dis, dès aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis » (Lc 23 40-43).

Les quatre-vingt-dix-neuf brebis fidèles

Celles-ci n'ont pas perdu le Nord. Et pour cause. Elles pratiquent les quatre vertus cardinales. Lorsque le tentateur passe, elles le regardent sans bouger. Ces brebis, déjà, font la joie de leur pasteur. Elles sont fidèles, prudentes, amoureuses de leur pasteur et lui témoignent leur amour en écoutant sa voix et en obéissant à ses commandements. Nous pourrions penser qu'elles seraient en droit de juger leur soeur pécheresse. Il n'en est rien. Pas plus lorsque celle-ci est égarée que lorsqu'elle revient au bercail. Font-elles la morale à leur soeur ? Non ! Elles s'en abstiennent. Manifestent-elles des reproches au pasteur en lui disant : « Notre soeur s'est vautrée dans la fange des cochons, nous n'en voulons plus avec nous de peur qu'elle nous salisse ». Non ! Au contraire ! Elles jubilent pour le retour de leur soeur perdue, car elle était perdue et la voici retrouvée, elle était morte et la voici revenue à la vie. Ces quatre-vingt-dix-neuf brebis sont vraiment bonnes et pures, car les bons et purs ne critiquent pas. Jamais. Ils comprennent.
la brebis perdue

Heureux les coeurs purs, car ils verront dieu

C'est ainsi que s'intitule la seizième admonition * Certains manuscrits donnent comme titre aux Admonitions : « Ainsi parlait saint François ». En effet, elles ont pour origine les interventions que faisait saint François dans les réunions des frères, ou chapitres. Il leur adressait « des avis, des ordres, des remontrances » (3 S 57). La légende de Pérouse parle de ces « entretiens avec les frères » et en donne quelques exemples (71 et ss.). Nous en conservons quelques témoignages écrits qui portent le titre d'Admonitions. Certaines Admonitions sont de brèves remarques en forme de commentaire d'Ecriture ; d'autres, des exhortations spirituelles ; d'autres enfin, des avis destinés à préciser tel ou tel point de la Règle, des « brèves remarques nécessaires à la bonne marche de la vie en fraternité » (1 C 32). On peut classer les admonitions en deux groupes assez homogènes : les Enseignements (1 à 12) ; et les Béatitudes (13 et ss.). Toutes, mais ces dernières surtout, méritent bien la définition qu'en donne le Père Cuthbert : elles constituent le « Sermon sur la Montagne » de saint François. Editions Franciscaines 1981, Saint François d'Assise Documents, P. Théophile Desbonnets et P. Damien Vorreux, p. 39 (introduction aux admonitions). de François. Nous allons tout de suite en donner le texte, très court, car c'est lui qui va nous introduire dans la découverte ou l'approfondissement de ce que l'on peut appeler la pureté du coeur.
« Heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu.
François d'Assise et frère Massée Ont vraiment le coeur pur ceux qui méprisent les biens de la terre, cherchent ceux du ciel et, ainsi purifiés de tout attachement de l'âme et du coeur, ne cessent jamais d'adorer et de voir rien d'autre que le Seigneur Dieu vivant et vrai. »
C'est au travers de quelques anecdotes de la vie de François et de ses frères que nous aborderons la vertu de pureté. Nous verrons deux passages où François aide le Frère Massée. Nous le rencontrerons ensuite avec les habitants de Sienne. Enfin, nous le verrons démasquer l'imposture d'un frère qui passait pour un saint. Cette pureté de coeur nous la rencontrerons, bien sûr, chez François lui même. Mais François a toujours eu le souci d'aider ses frères et son prochain à orienter leur propre coeur vers notre Père des Cieux. Nous le verrons donc oeuvrer en ce sens.
Ces quelques anecdotes de la vie de François vont notamment faire intervenir l'un des compagnons les plus attachants de François : Frère Massée. Pour mieux savourer les prochaines lignes, commençons par présenter ledit Frère Massée : né à Marignan près d'Assise, Frère Massée reçoit du Seigneur un grand nombre de qualités, tant physiques qu'intellectuelles. En effet, de grande taille, on doit reconnaître qu'il est plutôt bel homme. Il est gratifié d'un solide bon sens. Son esprit est vif et, parfois même, un peu caustique. Il a le don de répartie et surtout, peut-être, une forme d'éloquence simple et familière pour parler de Dieu. Il touche les coeurs et a un vif succès auprès de ceux qui l'écoutent. Il entre dans l'Ordre en 1210 ou 1211. Il finira par devenir très humble au contact de François et après avoir reçu de ce dernier quelques leçons bien méritées... * Les récits qui vont suivre sont inspirés par les « Fioretti », chapitres 10 et 11, dans lesquels vont être insérés d'autres textes (les références seront alors précisées).

Par la grâce de Dieu

Près de la Portioncule se trouve un petit bois où frère François aime se retirer pour prier. Il revient un jour de prier longuement dans ce bois et se dirige maintenant vers la communauté. Tandis qu'il marche, son visage reste comme éclairé par sa méditation. Si ses yeux regardent le sentier pour commander aux pieds de se poser aux bons endroits, son regard, lui, est ailleurs, toujours en oraison. C'est à cet instant que Frère François est interpellé par Frère Massée. Celui-ci, en effet, vient justement à sa rencontre. Quelques instants auparavant, et cela François ne l'avait pas remarqué, Frère Massée s'était arrêté de marcher pour mieux observer François venir vers lui. Lorsque Frère Massée s'adresse à François, son visage est rieur et sa tête, tout en parlant, va de gauche à droite, et vice versa, comme pour dire « je ne comprends pas ! ». Le ton de sa voix, quant à lui, n'a rien de méprisant ou de hautain. Il parle comme à un ami à qui l'on peut absolument tout dire, même les interrogations les plus curieuses, sinon audacieuses. Car la question qu'il pose à François comporte un brin d'audace : « Pourquoi à toi ? Pourquoi à toi ? Pourquoi à toi ? » François s'arrête de marcher et découvre Frère Massée là, à quelques pas devant lui. Il ouvre de grands yeux interrogateurs. « Je ne comprends pas le sens de ta question. Que veux-tu dire par « Pourquoi à toi » ? ». Le sourire de Frère Massée se fait plus large et, tout en ouvrant les mains et en haussant les épaules, précise : « Je dis : pourquoi tout le monde court-il après toi ? Pourquoi chacun semble-t-il désirer te voir et t'entendre ? Pourquoi, enfin, ceux qui t'ont entendu, et j'en fais partie, cherchent-ils finalement à t'obéir ? De corps, tu n'es pas bel homme ! Bien que tu saches lire, tu n'as pas grande science ! Et enfin, tu n'es pas noble ! D'où te vient-il donc que tout le monde court après toi ? »
Plus d'un, en entendant cette question, se serait contrarié car enfin, chacun a son amour-propre et n'aime pas être ainsi abaissé. Mais pour François, il n'en est rien. François, au contraire, se réjouit en esprit, lève son visage vers le ciel et reste longtemps l'âme élevée vers les cieux, comme pour attendre de Dieu la réponse à la question. Frère Massée le regarde, déjà presque étonné de son silence. Et puis, lentement, François s'agenouille et rend louange et grâce à Dieu. Il se tourne alors vers Frère Massée et lui dit : « Tu veux savoir pourquoi à moi ? Tu veux savoir pourquoi à moi ? Tu veux savoir pourquoi tout le monde me court après ? La réponse à cette triple question, je la tiens de ces yeux de Dieu qui contemplent les bons et les méchants. S'il avait choisi un serviteur très beau, ou un serviteur savant ou bien encore un serviteur issu de la noblesse, le monde aurait pu conclure que pour l'un de ces motifs les gens me couraient après et que la bonté de Dieu, la grâce de Dieu, n'étaient en rien la cause de tout ceci. Non ! Dieu, dans sa bonté, a retenu la plus vile de toute ses créatures. Il m'a, pour cette raison, choisi pour confondre la force et la beauté, pour confondre la science du monde et pour confondre la noblesse et la grandeur afin que l'on connaisse, écoute bien ceci Frère Massée, que toute vertu et tout bien viennent de Lui et non de la créature. Il m'a choisi parmi ses créatures pour dire au monde que nul ne peut se glorifier en sa présence, mais que quiconque se glorifie, se glorifie dans le Seigneur * « ... Mais ce qu'il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages ; ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre la force ; ce qui dans le monde est sans naissance et ce que l'on méprise, voilà ce que Dieu a choisi ; ce qui n'est pas, pour réduire à rien ce qui est, afin qu'aucune chair n'aille se glorifier devant Dieu. Car c'est par Lui que vous êtes dans le Christ Jésus, qui, de par Dieu, est devenu pour nous sagesse, justice et sanctification, Rédemption, afin que, comme il est écrit, celui qui se glorifie, qu'il se glorifie dans le Seigneur. » 1 Co 1 27-31., à qui appartiennent tout honneur et toute gloire dans l'éternité. »
En entendant ces paroles, les larmes montent aux yeux de Frère Massée et perlent sur ses joues. Bien évidemment, il ne s'attendait pas à une telle réponse. Touché dans son âme par un tel abandon à Dieu, il s'agenouille à son tour devant François et lui demande : « Bénis moi, frère François, et prie le Seigneur de me donner la très sainte vertu d'humilité. »
François regarde maintenant Frère Massée dans les yeux et puisqu'ils sont maintenant si près l'un de l'autre tous les deux agenouillés, il prend les mains de Frère Massée en disant : « Heureux le serviteur qui fait hommage de tout bien au Seigneur. Celui au contraire qui en revendique une part pour lui-même, celui-là cache au fond de lui-même l'argent du Seigneur Dieu, et ce qu'il croyait posséder en propre lui sera enlevé * Adm 19. Rendre tout bien au Seigneur.. »

Sur la route de Sienne

François choisissait souvent Frère Massée comme compagnon de route à cause du charme de sa parole et de son éminente sagesse. Nous les retrouvons tous deux, quelque temps après l'épisode précédent, en train de cheminer ensemble sur les routes de Toscane. Frère Massée marche un peu en avant de François. Il s'arrête maintenant au carrefour de Poggibonsi qui, venant d'Assise, permet d'aller dans trois directions différentes : Florence, Sienne ou Arezzo. Frère Massée se retourne et dit : « Frère, quel chemin devons-nous prendre ? » François de répondre : « Celui que Dieu voudra nous indiquer ». A cette réponse, Frère Massée éclate de rire et dit : « Ah, ah ! Et comment allons-nous faire pour connaître la volonté de Dieu sur ce sujet ? » François répond : « Par le signe que je te montrerai ; aussi, par le mérite de la sainte obéissance, je t'ordonne de tourner sur toi-même, comme font parfois les enfants, dans ce carrefour, à l'endroit précis où tu as les pieds en ce moment. Et ne cesse de tourner que je ne te le dise. »
François d'Assise et frère Massée
Frère Massée ouvre de grands yeux mais, en vertu de la sainte obéissance, se met à tourner en rond dans le milieu du carrefour. Les gens qui passent sourient en voyant ce grand gaillard tourner sur lui-même comme un enfant. Certains, même, n'hésitent pas à pousser des « Holà ! » lorsque le Frère Massée, pris d'étourdissement, tombe à terre. Mais celui-ci, courageusement et humblement, se relève et continue de tourner car François ne lui dit toujours pas de cesser. A un moment où Frère Massée tourne très vite, François lui lance : « Arrête-toi et ne bouge plus. » Alors Frère Massée, dans un dernier effort pour ne pas tomber, s'arrête de tourner. « De quel côté tournes-tu la tête ? » lui demande François. Frère Massée répond : « Vers Sienne ». François reprend : « C'est la route que Dieu veut que nous prenions ».
Alors François et Massée reprennent leur marche, Massée toujours un peu devant et François derrière. Tout en marchant, Frère Massée se dit en lui-même : « François est quand même très original. M'avoir fait tourner ainsi comme un gosse devant tout ce monde qui passait dans le carrefour. » Toutefois, il n'ose rien dire à François par respect pour lui. Mais, disons-le dès maintenant, il a du mal à « digérer » le moyen utilisé pour connaître la volonté divine.
Alors qu'ils approchent de Sienne, des habitants viennent à leur rencontre. Ceux-ci ont été avertis par des voyageurs plus rapides que nos amis et qui ont annoncé cette nouvelle : « Le saint homme d'Assise arrive avec l'un de ses compagnons ». Les personnes se jettent aux pieds des deux frères mineurs, toutes affolées. « Venez vite ! Des Siennois se battent entre eux pour une histoire de femmes, mêlée à une sombre histoire d'argent. Il y a déjà eu deux morts et cela risque de continuer si rien n'est fait pour ramener la paix. » François et Massée pressent le pas et se dirigent en plein coeur de la bataille. Des cris, des injures, des coups, du sang qui coule. Voilà le spectacle horrifiant qu'ils découvrent en arrivant. « Arrêtez, habitants de Sienne ! Arrêtez et écoutez ! » crie François. « Ecoutez cette parabole ».
François d'Assise et frère Massée

Parabole sur les regards jetés sur les femmes

« Un roi très puissant envoie successivement deux messagers à la reine. Le premier revient et se contente de transmettre la réponse ; c'est qu'il a, comme un sage, gardé ses yeux dans sa tête et appliqué la parole de l'ecclésiaste : « Détourne ton regard d'une jolie femme et ne l'arrête pas sur une beauté étrangère » (Si 9 8). L'autre serviteur revient à son tour et après avoir transmis en quelques mots son message, fait l'éloge de la beauté de la reine : « En vérité, sire, j'ai vu la plus belle des femmes ; heureux celui qui la possède ! » Mais le roi : « Méchant serviteur, tu as jeté sur ma femme des yeux impudiques. Il est clair que tu as voulu posséder ce que tu as si attentivement dévisagé. »
Le roi fait alors appeler le premier messager et lui dit : « Que penses-tu de la reine ? » Le messager lui répond : « Beaucoup de bien, car elle m'a écouté en silence et a répondu avec sagesse ». « Mais n'est-elle pas jolie ? » demande le roi. « C'est à vous, Seigneur, de la contempler. Moi, j'avais à transmettre les messages. » « Tu as les yeux chastes » affirme le roi. « Dans mes appartements sois chaste aussi de corps. Quant à l'autre, qu'il soit expulsé du palais, de peur qu'il ne souille ma couche ! »
François poursuit : « Ecoutez, habitants de Sienne. Quand on est trop sûr de soi, on prend moins garde à l'ennemi, et le diable a tôt fait, quand il vous a saisi par un cheveu, de le transformer en un joug pesant. Même s'il n'a pas réussi, après des années de tentations, à faire tomber un homme, peu lui importe le délai pourvu qu'il soit finalement victorieux. C'est là son seul travail ; il n'a, jour et nuit, pas d'autre préoccupation. » * D'après 2 C 113.

Ne pas se laisser ravager par le péché d'autrui

Et François de poursuivre : « Mais lorsque l'on rencontre une personne, qui dans tous les cas est un frère, venant de commettre un grand péché, doit-on pour autant se laisser ravager à son tour par ce péché ? Doit-on ajouter une nouvelle faute à la précédente en jugeant son frère, en médisant sur lui, en le frappant ou en le tuant ? Non ! En vérité, si grand que soit le péché commis par son prochain, le serviteur de Dieu peut être atteint dans son amour pour Dieu offensé, mais jamais il ne doit perdre la paix de l'âme ni se mettre en colère. S'il perdait la paix de l'âme ou se mettait en colère, il s'attribuerait injustement un droit qui n'appartient qu'à Dieu : juger d'une faute.
Le serviteur de Dieu qui demeure inaccessible à la colère et au trouble dans ses rapports avec autrui, celui-là mène une vie conforme à sa vocation, libre de tout attachement égoïste. Heureux celui qui ne s'arroge rien mais qui rend à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu * D'après Adm 11.». François, lentement, reprend son souffle et, regardant avec tendresse tous ces visages tournés vers lui, reprend sur un ton qui se rapproche plus de la prière que de la prédication :

Aimez vos ennemis

« Aimez vos ennemis », dit le Seigneur.
Aimer vraiment son ennemi, c'est d'abord ne pas s'affliger des torts qu'on a subis soi-même ; c'est ressentir douloureusement, mais comme une offense à l'amour de Dieu, le péché que l'autre a commis ; et c'est prouver à ce dernier, par des actes, qu'on l'aime toujours. * Adm 9.

Heureux les pacifiques

Heureux les pacifiques : ils seront appelés fils de Dieu.
Sont vraiment pacifiques ceux qui, malgré tout ce qu'ils ont à souffrir en ce monde, pour l'amour de notre Seigneur Jésus-Christ, gardent la paix de l'âme et du corps. * Adm 15.
Paix à vous, mes frères ! Paix à vous ! Soyez « un » comme Le Père, Le Fils et le Saint Esprit sont « Un ». »
Les habitants de Sienne, touchés par ces paroles et par la force d'âme avec laquelle elles ont été prononcées, se pardonnèrent mutuellement les offenses commises. Une grande union les lia tous à partir de cet instant.

Rentrer en soi-même pour voir les oeuvres divines

L'évêque de Sienne, apprenant cette intervention, invite François chez lui et le reçoit, lui et Frère Massée, avec un déploiement de fastes dignes de seigneurs. Ils dînent ensemble et l'Evêque insiste pour que les deux mineurs restent dormir à l'évêché pour la nuit. Comme il est fort tard, nos deux frères acceptent. Mais voilà que très tôt le matin, alors que le soleil n'est pas encore levé, François réveille Massée et lui dit : « Partons vite avant que quelqu'un ne se réveille car nous sommes, ici, trop bien traités ». Et, à l'insu de tous y compris de l'Evêque, ils quittent Sienne sans faire de bruit.
Sur le chemin du retour vers Assise, Frère Massée murmure en lui même : « Qu'est-ce qu'a fait ce brave homme ? Il m'a tout d'abord fait tourner comme un enfant devant tout le monde. Puis, à l'Evêque de Sienne qui l'a comblé d'honneurs, il n'a même pas dit une bonne parole et nous sommes partis sans même le remercier. Franchement, il me semble que frère François agit parfois sans grande éducation. Et Frère Massée cheminait en ruminant ces tristes pensées. Mais ensuite, la marche à pied aidant la réflexion et la méditation, Frère Massée rentre en lui-même et se met à s'accuser : « Comment, Frère Massée, peux-tu être aussi orgueilleux ? Les oeuvres que François a faites dans la seule journée d'hier sont plus saintes que même un ange du Seigneur n'aurait pu en accomplir de pareilles. Si François n'avait pas réconcilié les gens qui se battaient entre eux, non seulement beaucoup d'autres corps seraient morts en plus des deux premiers tués, mais aussi beaucoup d'âmes auraient été entraînées en enfer par le diable.
François d'Assise et frère Massée Que tu peux être sot, toi qui te crois intelligent ! Que tu peux être orgueilleux, toi qui murmures contre ton saint frère ! Car les oeuvres que François a accompli hier viennent manifestement de la volonté de Dieu, comme il apparaît de la bonne issue qui s'en est suivie. »
Saint François, quant à lui, continue de cheminer derrière, en silence. Mais, comme certains autres Saints * Le saint curé d'Ars, notamment., François a une merveilleuse connaissance des âmes * Des traits analogues abondent chez tous ses biographes par exemple : LP 28, 30 ; 1 C 48-50 ; 2 C 28-31, 40 ; LM 9 8-13. qui lui permet de connaître avec clairvoyance les pensées secrètes des personnes. Tout ce que Frère Massée dit en son coeur, François le connaît. Si bien qu'après les dernières pensées de Frère Massée, François se rapproche de lui, lui pose la main sur l'épaule et lui dit : «  Frère Massée ; mon bon Frère Massée ; tiens-toi à ces pensées que tu as maintenant parce qu'elles sont vraies, bonnes, utiles et inspirées par Dieu. Oublie le reste qui, lui, était inspiré par le démon. »

Un autre frère qui passait pour un saint

Quelques années après, François arrive dans une communauté de mineurs où un frère menait une vie sainte et exemplaire. Il s'adonnait à la prière jour et nuit. Il gardait un silence si rigoureux que même lorsqu'il se confessait à un frère prêtre, il le faisait par signes, sans dire un mot. Il paraissait rempli de piété et brûlait d'un fervent amour de Dieu. Lorsque des frères avaient une conversation pieuse, il manifestait à les entendre une grande joie intérieure et extérieure, et cela toujours sans parler. A le voir ainsi, beaucoup le considéraient comme un saint.
Cela faisait déjà quelques années qu'il vivait de cette façon lorsque François vient au couvent où ce frère demeure. Les frères n'hésitent pas à montrer à frère François l'enthousiasme qu'ils éprouvent pour ce frère et pourquoi ils le déclarent saint. Mais François interrompt le concert de louanges que l'on fait sur ledit frère en disant : « Assez, frères ! Ne me faites pas l'éloge de ce qui n'est que sournoiserie et duplicité. Si ce frère ne veut pas se confesser, c'est qu'il n'y a dans cette forme de vie que tentation et ruse diabolique. En vérité, cet homme est conduit et séduit par l'esprit malin ». Les frères, en entendant cela, montrent leur étonnement et interrogent François : « Comment des mystifications si effrontées peuvent-elles couver sous une perfection si évidente ? » - « Eprouvez-le donc » réplique François, « en lui demandant de se confesser deux fois, ou au moins une fois par semaine. S'il refuse, vous verrez que j'ai dit vrai. »
Alors le vicaire général, qui est également présent à ce moment, prend à part le frère qui passait pour un saint et commence à s'entretenir familièrement avec lui. S'entretenir est, bien sûr, une façon de parler puisque le frère ne s'exprime que par signes.
François d'Assise Pour finir, le vicaire ordonne au frère de se confesser deux fois ou, pour le moins, une fois par semaine. L'autre refuse, pose un doigt sur ses lèvres et secoue la tête, témoignant ainsi qu'il ne se confesserait pas. Apprenant cela, les frères restent stupéfaits devant un tel refus. Pour la première fois, en effet, le vicaire de tout l'Ordre ordonnait au frère en question de vivre un sacrement ! Ils savent en effet que la confession peut être, non seulement cause, mais expression de sainteté. De surcroît, constatant que le frère refuse d'obéir au vicaire général, ils se rappellent à ce moment l'admonition que François a pu exprimer à un chapitre général sur l'obéissance parfaite et l'obéissance imparfaite * Adm 3 (extraits). : « Le Seigneur dit dans l'Evangile : celui qui n'abandonne pas tout ce qu'il possède ne peut être mon disciple... » Comment faire pour abandonner tout ce que l'on possède ? En se livrant tout entier à l'obéissance entre les mains de son supérieur. Tout ce que fait et tout ce que dit un sujet est acte d'obéissance véritable à deux conditions : d'une part qu'il s'agisse objectivement d'une bonne action ; d'autre part qu'on soit sûr de ne pas aller contre la volonté du supérieur. Un sujet croit parfois sentir qu'une autre orientation serait meilleure et plus utile pour son âme que celle qui lui est imposée : qu'il fasse à Dieu le sacrifice de son projet, et qu'il se mette en devoir d'appliquer plutôt celui du supérieur. Voilà de la véritable obéissance, qui est aussi de l'amour : elle contente à la fois Dieu et le prochain... Bien des religieux, malheureusement, s'imaginent découvrir qu'il y a mieux à faire que ce qu'ordonnent leurs supérieurs ; ils regardent en arrière et retournent à leur vomissement, c'est-à-dire à leur volonté propre. Ce sont des homicides, car leurs mauvais exemples sèment la mort dans beaucoup d'âmes. » Les frères, devant le refus manifeste « du saint » de se confesser, sont réduits au silence. Ils craignent finalement que leur compagnon ne leur donne le scandaleux spectacle de son imposture. Consternés, ils préfèrent se taire.
Or, après seulement quelques jours, le frère qui passait pour un saint quitte l'Ordre de lui-même. Le plus triste est qu'il le quitte sans jamais s'être réconcilié avec Dieu et avec ses frères. Les situations originales et privilégiées finissent toujours par s'entacher de vice. Et Thomas de CELANO de conclure * 2 C 28. : « évitons donc la singularité qui n'est qu'un séduisant précipice ».

Le combat pour la pureté

« Ont vraiment le coeur pur ceux qui méprisent les biens de la terre, cherchent ceux du ciel et, ainsi purifiés de tout attachement de l'âme et du coeur, ne cessent jamais d'adorer et de voir rien d'autre que le Seigneur Dieu vivant et vrai » nous dit François * Adm 16.. Mépriser les biens de la terre pour ne chercher que ceux du ciel ; voici des choses plus faciles à dire qu'à faire ! Car dans tout homme, parce qu'il est un être composé esprit et corps, existe une certaine tension, une lutte de tendances entre l'« esprit » et la « chair » * Cette lutte appartient à l'héritage du péché. Le baptême efface la tâche originelle, mais bien que totalement effacée, celle-ci a meurtri notre âme en la fragilisant, la laissant ainsi plus sujette à tomber dans le péché. C'est un peu comme un enfant qui, tout petit et alors que ses parents sont parfaitement sain de corps, contracte une maladie mortelle. Par miracle, l'enfant est sauvé (c'est la grâce du baptême). Mais de cette maladie mortelle, pourtant complètement guérie, l'enfant gardera toute sa vie une fragilité qu'il n'aurait pas connue s'il n'avait pas été atteint de cette maladie mortelle à laquelle il a survécu (c'est l'héritage du péché premier qui réclame, toute la vie durant, cette lutte entre l'esprit et la chair).. Pour autant, ne tombons surtout pas dans le mépris total de notre propre corps ou dans celui d'autrui. La « chair » désigne cet attachement outrancier à son « moi » et aux biens de la terre. Mais le corps, lui, est digne de respect. Dieu fait homme a pris corps. Il est ressuscité d'entre les morts, c'est-à-dire que son corps est ressuscité, et nous-mêmes sommes appelés à connaître cette résurrection. La pureté du coeur nous permet de percevoir le corps humain, le nôtre et celui du prochain, comme un temple de l'Esprit Saint, une manifestation de la beauté divine.
Mais utiliser ce corps à une fin qui ne lui est pas destinée * « Mon corps est à moi » entend-on souvent, et « j'en fais ce que je veux ». Cette façon erronée de concevoir son corps, laquelle distingue en le rabaissant au rang d'objet, le corps du moi, ne peut qu'entraîner à la chute. Elle ne permet pas de cultiver la pureté du coeur. Considérons donc notre propre corps à la lumière d'une expression qui résume à elle seule beaucoup de choses : « Mon corps est moi ». Il est donc digne de respect., risque d'entraîner notre âme à sa perte quand ce n'est pas le corps lui-même qui est entraîné dans la chute. Ainsi, une lutte comme il est dit plus haut, ou un combat pour la pureté, est à entreprendre chaque jour. Si le baptême confère à celui qui le reçoit la grâce de la purification de tous les péchés, le baptisé doit continuer à lutter contre la concupiscence * S. Jean distingue trois espèces de convoitise ou de concupiscence : la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de la vie. Suivant la tradition catéchétique catholique, le neuvième commandement proscrit la concupiscence charnelle ; le dixième interdit la convoitise du bien d'autrui. CEC 2514. Dans la confession, les pénitents doivent énumérer tous les péchés mortels dont ils ont conscience après s'être examinés sérieusement, même si ces péchés sont très secrets et s'ils ont été commis seulement contre les deux derniers préceptes du Décalogue, car parfois ces péchés blessent plus grièvement l'âme et sont plus dangereux que ceux qui ont été commis au su de tous. CEC 1456. de la chair et les convoitises désordonnées * La convoitise est un désir démesuré de la raison qui pousse à convoiter injustement ce qui ne nous revient pas et appartient, ou est dû, à autrui. Le dixième commandement proscrit l'avidité et le désir d'une appropriation sans mesure des biens terrestres ; il défend la cupidité déréglée née de la passion immodérée des richesses et de leur puissance. Il interdit encore le désir de commettre une injustice par laquelle on nuirait au prochain dans ses biens temporels. CEC 2535 et 2536.. Avec la grâce de Dieu, il y parvient :
- par la vertu et le don de chasteté, car la chasteté permet d'aimer d'un coeur droit et sans partage ;
- par la pureté d'intention qui consiste à viser la fin véritable de l'homme : d'un oeil simple, le baptisé cherche à trouver et à accomplir en toute chose la volonté de Dieu (Rm 12 2 ; Col 1 10) ;
- par la pureté du regard, extérieur et intérieur ; par la discipline des sentiments et de l'imagination ; par le refus de toute complaisance dans les pensées impures qui inclinent à se détourner de la voie des commandements divins : « La vue éveille la passion chez les insensés (Sg 15 5) » ;
- par la prière * « Je croyais que la continence relevait de mes propres forces, (...) forces que je ne me connaissais pas. Et j'étais assez sot pour ne pas savoir que personne ne peut être continent, si tu ne le lui donnes. Et certes, tu l'aurais donné, si de mon gémissement intérieur, j'avais frappé à tes oreilles et si d'une foi solide, j'avais jeté en toi mon souci ». S. Augustin, conf. 6 11,20..

Conversion et réconciliation – puréte du coeur

Article 7

Comme « frères et soeurs de la pénitence » * Proposition de vie de 1221., en raison même de leur vocation, animés du dynamisme de l'Evangile, ils conformeront leur façon de penser et d'agir à celle du Christ, par ce changement intérieur radical que l'Evangile appelle « conversion » ; celle-ci, en raison de la fragilité humaine, est à reprendre tous les jours * Vatican II, const. sur l'Eglise 8 ; décret sur l'oecuménisme 4 ; const. apost. « Paenitemini » préambule..
Sur ce chemin de renouvellement intérieur, le sacrement de la réconciliation est à la fois signe privilégié de la miséricorde du Père et source de grâces * Vatican II, décret sur le ministère et la vie des prêtres 18 b..

Au cours des premiers chapitres de ce manuel, nous avons pu découvrir la signification des termes « fraternité », « pénitence », « Evangile », « conversion ». Aussi n'y reviendrons-nous pas de façon développée dans l'analyse de cet article de notre règle. Toutefois, autant pour cet article 7 que pour l'article 12 (que nous découvrirons immédiatement après), il nous faut approfondir la connaissance de ce bien le plus précieux que le Seigneur a donné à chacun de nous : notre âme. Car c'est bien notre âme qui est visée par l'expression : « ce chemin de renouvellement intérieur ». Incontestablement, l'âme est notre bien le plus précieux ! Jésus ne disait-il pas : « Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il vient à perdre son âme ? » (Mt 16 26).

Mais qu'est-ce que l'âme ?

Dieu a créé l'homme avec un corps et avec une âme immortelle * Tu peux éventuellement relire avec profit le § traitant de « La Vie » à la fin du chapitre 2, lequel te donne un éclairage entre l'existence et la Vie.. L'âme est cet esprit immortel que Dieu a créé à sa ressemblance pour être unie à un corps. Notre âme nous permet de penser, d'aimer et d'agir librement. Plus précisément, elle nous permet de connaître Dieu, de L'aimer et de Le servir. Autrement dit, notre âme est ouverte au surnaturel, à l'infini. Après notre mort, notre âme est appelée à partager le bonheur éternel de Dieu dans le Ciel. Mais n'allons pas trop vite et occupons-nous tout d'abord du présent * Car il y a deux moments très importants dans l'existence de chaque être humain : l'instant présent et l'instant de sa mort. Cela est si vrai que dans la rédaction de la seconde partie de la prière du « Je vous salue Marie », l'Eglise a précisé : « Priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort ».. Dès cette terre, l'âme peut être unie à Dieu par la Grâce, c'est-à-dire l'habitation de Dieu en notre âme. Nous pouvons dire que cette habitation passe par trois phases : la première, c'est la création ; la deuxième est une nouvelle création ; la troisième, c'est la perfection.
La première phase est commune à tous les hommes, c'est-à-dire que chaque individu, qu'il soit chrétien, membre d'une autre religion, adepte d'une secte, athée ou adversaire inconditionnel de l'Eglise du Christ, a une âme spirituelle, immortelle, créée par Dieu. La deuxième phase est propre aux justes qui, par leur volonté, amènent l'âme à une création encore plus complète, en unissant leurs bonnes actions à la bonté du travail de Dieu. Ils se font par conséquent une âme déjà plus parfaite spirituellement que celles qui restent dans la première phase. La troisième est propre aux bienheureux, aux saints, qui font grandir de mille et mille degrés l'âme qu'ils avaient au point de départ, une âme simplement humaine et en font une âme capable de reposer en Dieui * D'après Centro Editoriale Valtortiano, Isola del Liri, Italie, L'Evangile tel qu'il m'a été révélé, Maria Valtorta, Tome 3, chap. 65, p. 383 et 384 (extraits).. Afin de bien comprendre cette progression, prenons le symbole de l'édifice religieux que le monde entier connaît : celui de Saint Pierre de Rome. Sa grande place, tout d'abord, ornée et robuste, introduit le pèlerin dans l'aire de l'édifice. Celle-ci est défendue par deux gigantesques séries de colonnes implantées en forme de cercle, comme s'il s'agissait du mur défensif d'un château fort. De la même manière, il faut savoir entourer l'âme, reine d'un corps qui est le temple de l'Esprit éternel, d'une barrière qui la défende sans pourtant lui couper la lumière. Pour autant, ces deux séries de colonnes qui tentent de se rejoindre, sont ouvertes à leur extrémité, comme pour signifier que cette enceinte, établie pour protéger l'édifice, est un miséricordieux refuge pour les plus malheureux qui ne savent pas ce qu'est la charité. Pour accéder à l'édifice, à la deuxième phase, le pèlerin doit gravir cette place (elle est effectivement en pente) puis d'imposantes marches. Cette montée symbolise l'affranchissement de l'esprit sur la chair. On laisse en bas tout ce qui est pesant pour monter vers ce qui est supérieur : l'esprit. En haut des marches, le pèlerin arrive sous le narthex, le lieu des catéchumènes, symbole de l'effusion de l'amour, de la pitié, du désir que les autres viennent à Dieu. Alors que la place reste soumise aux intempéries naturelles (le soleil de plomb ou la pluie) ce narthex est comme un voile jeté sur le berceau d'un orphelin. Puis, au-delà des portes, les sculptures les plus belles en hommages au Créateur. De nombreux pas sont encore à parcourir pour s'approcher de la croisée des transepts * La représentation de la Trinité donnée à cet endroit par l'artiste mérite d'être soulignée : tout là-haut, sous la coupole, Dieu le Père. Il ne quitte pas les cieux ; Plus bas, au plafond du baldaquin, l'Esprit est représenté sous la forme d'une colombe mais aussi par le mouvement que l'artiste a donné aux tentures de bronze du baldaquin : le souffle de l'Esprit qui agit ; Tout en bas, sur l'autel, Dieu qui se donne en Jésus-Christ par l'opération de l'Esprit Saint : l'Eucharistie, le corps et le sang du Christ. et présenter à l'autel son offrande de vertus.
Place Saint Pierre
C'est là, à l'autel, que Dieu se rend présent dans le Saint Sacrifice de la messe et que l'âme humaine est invitée à communier physiquement et spirituellement avec Dieu.
Tout ceci est très beau, me direz-vous. Mais n'est il pas question, dans l'article 7 de notre règle, de « fragilité humaine ». Se pose alors pour nous de nouvelles interrogations.

Comment donner à l'âme : espace, liberté, élévation ?

Pour lui donner de l'espace, commencer par démolir les choses inutiles que l'on a dans son « moi ». Pour lui donner la liberté, arracher les chaînes des idées fausses. Pour l'élever, accueillir Dieu Amour au coeur de sa vie * Puisqu'il est question de trois degrés, nous pourrions également parler de : pénitence, patience, constance. ou bien encore : humilité, pureté, justice. Ou encore : sagesse, générosité, miséricorde. Ou enfin le trinôme lumineux : foi, espérance, charité.. Par son obéissance jusqu'à la mort, le Christ a communiqué à ses disciples le don de la liberté royale, « pour qu'ils arrachent au péché son empire en eux-mêmes par leur abnégation et la sainteté de leur vie » * CEC 908 (LG 36).. La pratique de la vie morale animée par la charité donne au chrétien la liberté spirituelle des enfants de Dieu. Il ne se tient plus devant Dieu comme un esclave, dans la crainte servile, ni comme le mercenaire en quête de salaire, mais comme un fils qui répond à l'amour de « Celui qui nous a aimés le premier » (1 Jn 4 19) * CEC 1828..

Qu'est-ce que le péché ?

Le péché est une offense faite à Dieu. Il peut revêtir les différentes formes énumérées dans le confiteor : le péché en pensée, en parole, par action ou par omission. Mais dans tous les cas, il s'agit bien d'une désobéissance aux commandements de Dieu qui sont commandements d'amour : aimer Dieu et aimer son prochain. Oui, même le fait de pécher contre son prochain exprime avant tout une révolte contre notre Créateur : « Contre Toi et Toi seul, j'ai péché. Ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait » (Ps 51 6). Le péché se dresse contre l'amour de Dieu pour nous. Il tourne notre coeur dans la mauvaise direction, comme l'on fait nos premiers parents au jardin d'Eden. Le péché, « amour de soi jusqu'au mépris de Dieu * S. Augustin, civ. 14 28. » salit notre âme. Il revient, en quelque sorte, à jeter en dehors de sa maison le lit, les draps propres, la vaisselle et la bonne nourriture pour les remplacer par des ordures ménagères et des excréments. Rester dans son péché, c'est se coucher toutes les nuits dans des ordures et consommer chaque jour des excréments.
Confession La métaphore peut faire sourire mais, concernant notre âme, c'est bien ce que le péché provoque. Il chasse Dieu de notre âme pour le remplacer par Satan. Autant dire que cette exaltation orgueilleuse de soi-même ne ressemble en rien à la façon de penser et d'agir du Christ à laquelle notre règle nous invite. Lui, Jésus, par son obéissance, accomplit le salut. Le péché, c'est la perte, le contraire du salut. Pourtant, grâce à Dieu Père, Fils et Esprit, il est possible de restaurer la vie divine en nous. Cette grâce réclame du pénitent l'aveu de ses fautes. Car si « Dieu nous a créés sans nous, Il n'a pas voulu nous sauver sans nous » * S. Augustin, serm. 169, 11, 13.. L'accueil de sa miséricorde réclame de nous l'aveu de nos fautes. « Si nous disons : « Nous n'avons pas de péché », nous nous abusons, la vérité n'est pas en nous. Si nous confessons nos péchés, Il est assez fidèle et juste pour remettre nos péchés et nous purifier de toute injustice » (1 Jn 1 8,9). * CEC 1847.

La miséricorde divine dans l'Ancien Testament

Dans l'Ancien Testament, le concept de « miséricorde » a une longue et riche histoire * A compter de ce paragraphe et pour les deux suivants, l'essentiel de leur contenu est composé d'extraits aménagés de la deuxième lettre encyclique de notre souverain pontife Jean-Paul II Dives in misericordia (la miséricorde divine) (Pierre TEQUI Editeur 1980).. Nous devons remonter jusqu'à elle pour que resplendisse plus pleinement la miséricorde que le Christ a révélée. On ne compte plus les occasions où Dieu fait preuve de miséricorde envers les hommes, que ce soit à titre individuel ou communautaire. Il ne manqua pas d'hommes et de prophètes en Israël pour réveiller cette conscience d'un Dieu miséricorde * Jg 3 7-9 ; 1 R 8 22-53 ; Mi 7 18-20 ; Is 1 18, 51 4-16 ; Ba 2 11, 3 8 ; Ne 9.. A l'origine de cette conviction se situe l'expérience fondamentale du peuple élu vécue lors de l'exode : le Seigneur voit la misère de son peuple réduit en esclavage, il entend ses clameurs, perçoit ses angoisses et décide de le délivrer (Ex 3 7-8). Dans cet acte de salut réalisé par le Seigneur, le prophète discerne son amour et sa compassion (Is 63 9). C'est là que s'enracine la confiance de tout le peuple et de chacun de ses membres en la miséricorde divine, miséricorde que l'on peut invoquer en toute circonstance tragique.
A cela s'ajoute que la misère de l'homme, c'est aussi son péché. Le peuple de l'Ancienne Alliance connaît cette misère dès le temps de l'exode, lorsqu'il érige le veau d'or. De cet acte de rupture d'alliance, le Seigneur lui-même triomphe en déclarant solennellement à Moïse : « Dieu de tendresse et de grâce, lent à la colère et plein de miséricorde et de fidélité » (Ex 34 6). C'est dans cette révélation centrale que le peuple élu et chacun de ceux qui le constituent trouvent, après toute faute, la force et la raison de se tourner vers le Seigneur pour lui rappeler ce qu'il a précisément révélé de lui-même et implorer son pardon * Nb 14 18 ; 2 Ch 30 9 ; Ne 9 17 ; Ps 86 (85) 15 ; Sg 15 1 ; Si 2 11 ; Jl 2 13.. Ainsi l'Ancien Testament encourage-t-il les malheureux, surtout ceux qui sont chargés de péchés, à faire appel à la miséricorde. En un certain sens, la miséricorde divine se situe à l'opposé de la justice divine. En effet, dans bien des cas, la miséricorde divine est non seulement plus puissante, mais encore plus fondamentale que la justice : l'amour, plus grand que la justice ou bien encore, la justice au service de la charité.
Il est significatif que les prophètes, dans leur prédication, relient la miséricorde, dont ils parlent souvent à cause des péchés du peuple, à l'image de l'amour ardent que Dieu lui porte. Dans cette prédication, la miséricorde signifie une puissance particulière de l'amour, qui est plus fort que le péché et l'infidélité du peuple élu. Et en effet, s'Il se trouve en face de la pénitence, de la conversion authentique, Dieu rétablit de nouveau son peuple dans sa grâce (Jr 31 20 ; Ez 39 25-29).

La miséricorde divine dans le mystère pascal

Lorsque Jésus exerce sa mission, nous le voyons accomplir les paroles du prophète Isaïe lues aux habitants de Nazareth : « L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a consacré par l'onction pour porter le bonne nouvelle aux pauvres ; il m'a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur » (Lc 4 18,19). Il est hautement significatif que ces hommes soient surtout les pauvres qui n'ont pas de moyen de subsistance, ceux qui sont privés de liberté, les aveugles qui ne voient pas la beauté de la création, ceux qui vivent dans l'affliction du coeur ou qui souffrent à cause de l'injustice sociale et, enfin, les pécheurs. C'est surtout à l'égard de ces hommes que le Messie devient un signe particulièrement lisible du fait que Dieu est amour ; il devient un signe du Père. Le Christ incarne et personnifie la miséricorde. Pour qui la voit et la trouve en lui, Dieu devient visible comme le Père riche en miséricorde. « Qui me voit, voit le Père » (Jn 14 9).
C'est incontestablement dans le mystère Pascal, la passion et la résurrection du Christ, que se manifeste de façon la plus éclatante l'amour miséricordieux du Père. En effet, la croix est le moyen le plus profond pour la divinité de se pencher sur l'homme et sur ce que l'homme, surtout dans les moments difficiles et douloureux, appelle son malheureux destin * Une image assez répandue peut nous aider à mieux comprendre le sens et l'effet du sacrifice de la croix : celle de l'oiseau blessé. Les hommes, depuis la chute originelle, sont comme des oiseaux en cage dans une immense volière. Cette volière, bien qu'immense, reste parfaitement close par un grillage inviolable, empêchant ainsi les oiseaux de s'élever vers le ciel, là où l'on trouve espace et liberté. Pourtant un oiseau va permettre de donner à l'ensemble la liberté perdue. Cet oiseau, par amour pour tous les autres, va s'élever avec force et détermination vers le sommet de la volière, se projeter sur le grillage inviolable et ainsi ouvrir une brèche dans celui-ci. Mais pour ouvrir cette brèche, l'oiseau fait le don de sa vie. Le choc entre lui-même et le grillage de la volière est tellement brutal que son sacrifice entraîne sa propre mort. Oui, le sommet de sa tête, ses ailes, ses pattes, tout son plumage couvert de sang témoignent de l'intensité du choc et, par là même, de l'immense amour qu'il porte pour la totalité des oiseaux prisonniers. Il est là, inerte, le souffle de la vie l'ayant quitté. Personne ne bouge dans la volière. Tous regardent effarés la dépouille mortelle sans qu'aucun ne s'aperçoive pour autant que maintenant la liberté est là, toute proche, à quelques coups d'ailes. Un autre événement, tout aussi extraordinaire que le premier, a lieu trois jours après : la résurrection de l'oiseau sacrifié. Dieu, dans son infinie miséricorde, redonne le souffle de la vie à cet oiseau. A ce moment, quelle joie dans la volière ! Quelle liesse ! Et tous découvrent alors que la cage est ouverte ; tous peuvent désormais s'envoler..
La croix est comme un toucher de l'amour éternel sur les blessures les plus douloureuses de l'existence terrestre de l'homme. Elle est également l'accomplissement jusqu'au bout du programme messianique que le Christ a formulé dans la synagogue de Nazareth puis répété devant les messagers de Jean-Baptiste (Lc 7 20-23). Le fait que le Christ soit ressuscité le troisième jour est le signe qui marque l'achèvement de la mission messianique, signe qui est le couronnement de la révélation complète de l'amour miséricordieux dans un monde soumis au mal. Il constitue en même temps le signe qui annonce à l'avance « un ciel nouveau et une terre nouvelle » (Ap 21 1), quand Dieu « essuiera toute larme de leurs yeux ; de mort, il n'y en aura plus ; de pleur, de cri et de peine, il n'y en aura plus ; car l'ancien monde s'en est allé » (Ap 21 4).

La réconciliation, signe privilégié de la miséricorde du Père

Dans l'Evangile selon Saint Luc, nous trouvons une série de trois paraboles constituant son chapitre 15 et intitulé : « Les trois paraboles de la miséricorde » comprenant « la brebis perdue », « la drachme retrouvée » et enfin « l'enfant prodigue ». Cette dernière (Lc 15 11-32) permet de souligner, non seulement la miséricorde du Père envers nous, mais également les effets réels de cette réconciliation avec Dieu.
Le fils reçoit de son père la part d'héritage qui lui revient et abandonne la maison pour tout dépenser dans un pays lointain en vivant dans l'inconduite. Ce fils représente l'homme de tous les temps, à commencer par celui qui perdit l'héritage de la grâce et de la justice originelle. Mais cette parabole est extrêmement large. Elle touche indirectement chaque rupture de l'alliance d'amour, chaque perte de la grâce, chaque péché. Bref, elle me concerne. Le fils, « quand il eut tout dépensé..., commença à sentir la privation », d'autant plus que survint une grande famine « en cette contrée » où il s'était rendu après avoir abandonné la maison paternelle. Et alors, « il aurait bien voulu avoir de quoi se rassasier », fût-ce « avec les caroubes que mangeaient les porcs » qu'il gardait pour le compte « d'un des habitants de cette contrée ». Mais cela même lui était refusé car, dans cette région, la santé des porcs avait plus d'importance que la santé de celui qui avait la charge de garder les porcs. Nous voyons donc au passage que l'analogie se déplace petit à petit vers l'intérieur de l'homme. Le patrimoine reçu de son père consistait en biens matériels, mais plus importante encore que ces biens, était la dignité de fils dans la maison paternelle. La situation matérielle dans laquelle il se trouve aurait dû le rendre conscient de la perte de cette dignité. Il n'y a pas pensé auparavant, quand il a demandé à son père de lui donner la part d'héritage qui lui revenait pour s'en aller au loin. Et il semble qu'il n'en soit pas encore conscient au moment où il se dit à lui-même : « Combien de mercenaires de mon père ont du pain en surabondance, et moi je suis ici à périr de faim ». Il se mesure lui-même à la mesure des biens qu'il a perdus, qu'il ne « possède » plus, tandis que les salariés dans la maison de son père, eux, les « possèdent ». Ces paroles expriment surtout son attitude envers les biens matériels. Néanmoins, au-delà des paroles, se cache le drame de la dignité perdue, la conscience du caractère filial gâché. Et c'est alors qu'il prend sa décision : « Je veux partir, aller vers mon père et lui dire : Père, j'ai péché contre le Ciel et envers toi ; je ne mérite plus d'être appelé ton fils, traite-moi comme l'un de tes mercenaires » (Lc 15 18-19).
Le fils prodigue
Paroles qui dévoilent plus à fond le problème essentiel. Dans la situation matérielle difficile où l'enfant prodigue en est venu à se trouver à cause de sa légèreté, à cause de son péché, a aussi mûri le sens de la dignité perdue. Quand il se décide de retourner à la maison paternelle, de demander à son père d'être accueilli non plus en vertu de son droit de fils, mais dans la condition d'un mercenaire, il semble extérieurement agir poussé par la faim et la misère dans laquelle il est tombé. Pourtant ce motif est pénétré par la conscience d'une perte plus profonde : être un mercenaire dans la maison de son propre père est certainement une grande humiliation et une grande honte. Néanmoins, l'enfant prodigue est prêt à affronter cette humiliation et cette honte. Il se rend compte qu'il n'a plus aucun droit, sinon celui d'être un mercenaire dans la maison de son père. Ce raisonnement montre bien que, au centre de la conscience de l'enfant prodigue, émerge le sens de la dignité perdue, de cette dignité qui jaillit du rapport entre le fils et son père. Et c'est après avoir pris cette décision qu'il se met en route.
La description précise de l'état d'âme de l'enfant prodigue nous permet de comprendre avec exactitude en quoi consiste la miséricorde divine. Il n'y a aucun doute que la figure du père de famille nous révèle Dieu comme Père. Le père de l'enfant prodigue est fidèle à sa paternité, fidèle à l'amour dont il comblait son fils depuis toujours. Cette fidélité ne s'exprime pas seulement dans la parabole par la promptitude de l'accueil, lorsque le fils revient à la maison après avoir dilapidé son héritage ; elle s'exprime surtout bien davantage par cette joie, par cette fête si généreuse à l'égard du fils prodigue après son retour qu'elle suscite l'opposition et l'envie du frère aîné. Le père agit évidemment poussé par une profonde affection, et cela peut expliquer aussi sa générosité envers son fils. Cependant, les causes de cette émotion doivent être recherchées plus profondément : le père est conscient qu'un bien fondamental a été sauvé, l'humanité de son fils. Bien que celui-ci ait dilapidé son héritage, son humanité est cependant sauve. Plus encore, elle a été comme retrouvée. Les paroles que le père adresse au fils aîné nous le disent : « Il fallait bien festoyer et se réjouir, puisque ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ! ». De même, l'amour que Dieu nous porte est capable de se pencher sur chaque misère humaine, et surtout sur chaque misère morale, sur le péché. Lorsqu'il en est ainsi, celui qui est objet de la miséricorde ne se sent pas humilié, mais comme retrouvé et « revalorisé ». La parabole de l'enfant prodigue exprime d'une façon simple, mais profonde, la réalité de la conversion. Celle-ci est l'expression la plus concrète de l'oeuvre de l'amour et de la présence de la miséricorde dans le monde humain.

La réconciliation, source de grâces

Dans le langage courant, la grâce est une faveur accordée à quelqu'un pour lui être agréable. Dans le langage théologique, Dieu, ayant appelé l'homme à participer à sa vie divine, a établi par sa grâce des moyens proportionnés à cette fin. Et la grâce est un don de Dieu entièrement gratuit pour nous aider à faire le salut de notre âme. Ces moyens, c'est Jésus qui nous les donne : nous naissons à la vie surnaturelle par le baptême ; nous sommes fortifiés dans notre vie surnaturelle par la Confirmation ; notre vie surnaturelle est nourrie par le Corps du Christ Eucharistie ; notre grand remède contre les maladies de l'âme est le sacrement de réconciliation. C'est par ce dernier sacrement que la vie divine est restaurée dans notre âme.
Le fils prodigue Après l'aveu du fils de ses fautes « Père, j'ai péché contre le Ciel et contre toi, je ne mérite plus d'être appelé ton fils » le père dit à ses serviteurs : « Vite, apporter la plus belle robe et l'en revêtez, mettez-lui un anneau au doigt et des chaussures aux pieds ». A l'époque du Christ, seuls les hommes libres et riches portaient des chaussures (ou des sandales). Les pauvres et les esclaves qui n'en portaient jamais allaient pieds nus. Par cette parole « mettez-lui des chaussures aux pieds », le Père nous libère de l'esclavage du péché dans lequel nous nous mettons. Et il va plus loin encore. Toujours à l'époque du Christ, seuls ne portaient des anneaux aux doigts que les maîtres. Les serviteurs n'en portaient pas. Le Père restaure complètement l'état de vie initial. Lui qui est le maître absolu de toutes choses, Il nous donne de participer à sa vie divine. Sans aucun mérite de notre part, Il nous « remet l'alliance » au doigt. Autrement dit, Il vient de nouveau habiter notre âme. Cette grâce qu'Il nous accorde s'appelle « grâce sanctifiante » car elle nous fait enfant de Dieu, frère de Jésus-Christ et temple vivant du Saint-Esprit. Elle sanctifie notre âme, la « divinise » (saint Paul), non pas que nous devenions Dieu mais semblables à Lui par notre union intime avec Lui et le don qu'Il nous fait de Lui-même. Quand on la possède, on est en état de grâce.

Le sacrement de la réconciliation

Nous n'entrerons pas ici dans le rituel de ce sacrement mais celui que l'on appelle aujourd'hui « sacrement de réconciliation » a porté, et porte encore, différents noms. Leur signification propre va nous permettre de découvrir les différents effets de ce sacrement * Le texte qui suit est extrait du CEC, § 1423 et 1424..
Il est appelé sacrement de conversion puisqu'il réalise sacramentellement l'appel de Jésus à la conversion (Mc 1 15), la démarche de revenir au Père (Lc 15 18) dont on s'est éloigné par le péché.
Il est appelé sacrement de Pénitence puisqu'il consacre une démarche personnelle et ecclésiale de conversion, de repentir et de satisfaction du chrétien pécheur.
Il est appelé sacrement de la confession puisque l'aveu, la confession des péchés devant le prêtre * Lequel prêtre ne pardonne pas les péchés en son nom mais « au nom du Père, au nom du Fils et au nom du Saint-Esprit ». est un élément essentiel de ce sacrement. Dans un sens profond ce sacrement est aussi une « confession », reconnaissance et louange de la sainteté de Dieu et de sa miséricorde envers l'homme pécheur.
Il est appelé sacrement du pardon puisque, par l'absolution sacramentelle du prêtre, Dieu accorde au pénitent « le pardon et la paix ».
Il est appelé sacrement de Réconciliation car il donne au pécheur l'amour de Dieu qui réconcilie : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5 20). Celui qui vit de l'amour miséricordieux de Dieu est prêt à répondre à l'appel du Seigneur : « Va d'abord te réconcilier avec ton frère » (Mt 5 24).

Article 12

Témoins du monde à venir et fidèles à leur vocation, ils s'efforceront d'acquérir la pureté du coeur, afin d'être plus libres pour aimer Dieu et leurs frères * Adm 16 ; 1 Let 70..

Si ton intention est droite

Nous trouvons ce conditionnel, « si ton intention est droite », dans le récit de la Genèse « Caïn et Abel » (Gn 4). Ce texte va nous aider à approfondir ce que l'on appelle la pureté du coeur.
« L'homme connut Eve, sa femme ». De cette union naquit un premier fils : Caïn. Elle donna ensuite naissance à un deuxième fils : Abel. Les deux garçons grandissent, et alors que Caïn cultive le sol, Abel devient pasteur de petit bétail. Un jour, tous les deux présentent une offrande à leur Créateur, autrement dit, l'un et l'autre sacrifient quelque chose qui leur est cher pour plaire à Dieu, un peu comme un amoureux offrirait un bouquet de fleurs coupées à une demoiselle pour laquelle son coeur s'est mis à battre très fort. Caïn brûle des produits du sol et Abel offre des premiers nés de son troupeau, et même de leur graisse. Or le Seigneur « agréa Abel et son offrande. Mais il n'agréa pas Caïn et son offrande, et Caïn en fut très irrité et eut le visage abattu ».
Caïn et Abel Evidemment, les exclamations qui peuvent surgir à la lecture du récit sont les suivantes : mais pourquoi Dieu n'accepte-t-il pas l'offrande de Caïn ! Serait-ce là un manque de justice de sa part ! Caïn est très irrité, mais franchement, il y a de quoi ! Puisque Dieu accepte pour l'un, pourquoi n'accepte-t-il pas pour l'autre !
De surcroît, si Yahvé avait accepté l'offrande de Caïn, Caïn n'aurait pas tué son frère par la suite ! Bref, ne pas accepter une offrande fait partie des choses qui ne se font pas ! Toutefois, la suite du récit nous éclaire sur la raison du refus divin : « Yahvé dit à Caïn : « Pourquoi es-tu irrité et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si ton intention est droite, ne relèveras-tu pas la tête ? Mais si ton intention n'est pas droite, le péché n'est-il pas à la porte, une bête tapie qui te convoite et que tu dois dominer ? »  Aux yeux de Dieu, l'intention est déterminante ; autrement dit, ce n'est pas tellement l'acte qui compte mais bien plutôt l'intention qui motive l'acte. Reprenons l'exemple de notre amoureux offrant un bouquet de fleurs à la charmante demoiselle. Imaginons un instant que la demoiselle ait, en fait, deux prétendants, chacun lui offrant à quelques heures d'intervalle un magnifique bouquet de fleurs. Mesdemoiselles et Mesdames (qui un jour avez été demoiselles) qui lisez ces lignes, vous savez ce que signifie l'expression : « dites-le avec des fleurs ».
Caïn et AbelPourtant, et bien que le coeur de la demoiselle soit encore indécis dans ses propres sentiments vis à vis des deux prétendants, elle accepte le bouquet de fleurs de l'un mais pas de l'autre. En effet, dans son intuition toute féminine, elle discerne que pour l'un des deux, le bouquet de fleurs ne voile que le désir de coucher avec elle alors que pour l'autre, elle y discerne le signe de l'expression d'un vrai sentiment émanant de son coeur. Devait-elle accepter les deux bouquets au nom d'une bien curieuse justice ? Non, cela va de soi. Eh bien, si Dieu ne reçoit pas l'offrande de Caïn, c'est pour cette même raison. L'acte d'offrande de Caïn n'est pas l'expression sensible d'un sentiment « pur » alors que l'offrande d'Abel est imprégnée de cette pureté d'intention qui rend l'offrande agréable à celui qui la reçoit. Elle est vraiment l'expression de son amour pour son Créateur. L'amour, toujours l'amour. Plus tard, dans la bouche de son prophète Osée, le Seigneur nous dira : « Car c'est l'amour que je veux, non les sacrifices, la connaissance de Dieu, non les holocaustes. » (Os 6 6)

Tout vient du coeur

La pureté procède du coeur. Tel est le coeur, telle sont la pensée, la parole, le regard, l'action.Pureté C'est de son coeur que le juste tire le bien, et plus il en tire et plus il en trouve, car le bien que l'on fait donne naissance à un bien nouveau. L'homme mauvais tire du mal de son coeur qui est mauvais et il ne peut tirer de son coeur que du mauvais par les fautes qu'il accumule : « mauvais desseins, meurtres, adultères, débauches, vols, faux témoignages, diffamations. Voilà les choses qui rendent l'homme impur » (Mt 15 19). Dans tous les cas, c'est le trop plein du coeur qui déborde des lèvres et se manifeste dans les actions.
Dans notre pèlerinage vers Dieu, la valeur de notre pureté de coeur est déterminante. Satan le sait si bien qu'il commence toujours par nous tenter par l'impureté. Il sait qu'une faute de sensualité démantèle l'âme et en fait une proie facile pour les autres fautes. Dieu, pour autant, ne nous fait pas violence. L'homme est libre. Mais Dieu nous rend la force par sa grâce. Il nous délivre de la domination de Satan. A chacun de reprendre le joug infernal ou de mettre à son âme des ailes d'ange. Tout dépend de soi-même pour prendre le Christ Jésus comme frère afin qu'il soit le guide vers Dieu Père.
Faisons-nous un coeur humble et pur, aimant, confiant, sincère. Aimons Dieu avec l'amour d'une vierge pour son fiancé. En vérité, toute âme est une vierge, mariée à l'Eternel aimant, à Dieu notre Seigneur. La terre est le temps des fiançailles dont toutes les heures, toutes les contingences de la vie sont autant de servantes qui préparent le trousseau nuptial. L'heure de la mort, c'est l'heure de l'accomplissement des noces. L'âme peut alors enlever son voile et se jeter dans les bras de son Dieu.

Questions

Ai-je bien retenu ?

1) Puis-je rappeler et commenter succinctement les quatre vertus cardinales ? De quelle autre vertu, supérieure à elles quatre, sont-elles issues et vers laquelle elles tendent toutes ? Pourquoi ?
2) A l'exemple de François, quelle est la vertu à pratiquer pour, non seulement résister à la première forme de tentation, mais aussi pour nous donner de voir dès aujourd'hui selon Dieu, de recevoir autrui comme un prochain, de percevoir le corps humain (le nôtre et celui du prochain) comme un temple de l'Esprit Saint et une manifestation de la beauté divine.
3) Qu'est-ce que l'âme et qu'est-ce que la grâce ?

Pour approfondir

1) « Tes péchés sont pardonnés ». Cette phrase, nous l'entendons souvent prononcée par Jésus dans l'Evangile. Pourtant, elle est souvent suivie d'une action de la part du pénitent. En me documentant si nécessaire, puis-je donner les trois « actes du pénitent » lors du déroulement du sacrement de réconciliation ? Enfin, quels sont les trois principaux effets du sacrement de réconciliation ?
2) Concrètement, comment puis-je « acquérir la pureté du coeur afin d'être plus libre pour aimer Dieu et mes frères » ?
3) Réfléchir sur le sacrement de réconciliation comme « frère ou soeur de la pénitence » est parfaitement louable. Mais le « changement intérieur radical » dont il est question dans notre règle ne réclame-t-il pas que je me fixe, aujourd'hui même, la date de ma plus prochaine confession sacramentelle ?
Brebis

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Réalisé par www.pbdi.fr Illustration par Laurent Bidot